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Coup d’État pour l’amour… du sucre !

Le jardin à l’anglaise profilait sous les timides lueurs du nouveau printemps de belles couleurs en dégradé pastel. Avec grâce se revêtaient les nuances des arbres et le ruisseau parcourant la grande étendue végétale. Pour ce matin de mars 1812, la température se faisait douce malgré une légère brise fraîche qui effleurait les touffues branches des cèdres du Liban. Ceux-ci se métamorphosaient  ainsi, vus de loin, en voluptueux nuages d’un vert profond. Au bruissement des feuillages se mêlaient aussi le délicat froissement de la robe de soie gentiane de l’Impératrice.

Elle aimait tant ce havre de paix, loin de la cour, dans sa discrète mais somptueuse demeure de Rueil-Malmaison. Tandis qu’elle parvenait à sa chère roseraie, elle resserra plus encore autour de ses épaules de porcelaine son étole bleue préférée. Avec prestance, elle s’assit sur l’un des bancs en pierre, soupira de bonheur pour les bienfaits de cette matinale promenade puis se tourna avec amusement vers sa compagne de balade d’un jour.

« Ah Madame la Baronne, il faut que vous me racontiez… J’entends de si belles choses ici… Je ne suis peut-être plus acceptée à la cour de mon époux  mais, dussé-je me battre pour cela, j’aime à rester informée des derniers exploits de l’Empire. »

La jeune femme qui l’accompagnait se garda bien de lui faire remarquer que l’époux en question était en fait un ex-mari. La brave Joséphine de Beauharnais, impératrice déchue depuis son divorce avec l’illustre Napoléon en 1806, restait toujours fort amoureuse de celui dont elle avait partagé la gloire sous les trompettes de la Renommée. Quand elle avait su que l’ancienne Impératrice voulait lui parler, elle n’avait pas su quoi faire. S’y rendre ? Mais pourquoi ? Lui en tiendrait-on rigueur à la cour ? Et son propre époux à elle se sentirait-il trahi ? Madame la baronne Delessert décida de finalement s’asseoir auprès l’ancienne souveraine.

« Madame, vous me voyez fort ravie de recevoir de tels compliments… Mon mari est… »

– Un talentueux inventeur de génie ! Il fera la gloire de notre Empire ! la coupa net Joséphine.

Madame Delessert jouait avec ses mains, quelque peu gênée et agitée.

« Je dois vous avouer, Madame, que mon époux n’est pas l’inventeur de cette innovation… Sans notre ami Monsieur Chaptal et ses recherches concernant les études des Messieurs de Serre, Margraff et Achard, nous n’aurions pas réussi. »

– Sans doute, mais votre usine Crespel-Delisse à Arras a tout de même produit il y a deux ans jusqu’à mille kilos de sucre grâce à ce jus formidable. Vous avez sauvé la France de la pénurie de cette denrée. Le blocus de mon mari envers les produits anglais et ceux des colonies américaines aurait pu faire courir la France à sa perte mais, grâce à vous, notre industrie alimentaire a réussi une belle percée. Quand je repense justement à cet article publié par Monsieur Achard il y a quelques années dans les  Annales de Chimie… Imaginez-vous ! Soixante-cinq centimes le kilogramme de sucre ! Et dire que ce cher Nicolas Deyeux, Premier Pharmacien de mon époux, ne pariait que sur une baisse de prix à un virgule huit franc germinal le kilo. Je n’ai jamais eu confiance en cet homme. J’ai toujours trouvé qu’il se pavanait plus pour ne rien dire au final…

– Je comprends pourtant son scepticisme de l’époque… Après les événements de 1792 où ont eu lieu des pillages de boutiques de sucre dans les faubourgs car son prix était trop cher… Je pense qu’il était juste prudent. Il ne souhaitait pas donner de faux-espoirs à son peuple.

Joséphine de Beauharnais lui sourit aimablement et lui prit les mains.

« Et pourtant Madame, vous avez permis aux Français, vous et votre mari, d’y croire. Mon époux a bien fait d’investir dans vos projets. Et dire que le décret de réservation de quatre mille hectares de terres dans le Nord pour cette culture ne date que de presqu’un an ! »

– Et je vous prie de me croire que nous sommes très reconnaissants à l’Empereur de nous avoir exemptés d’impôts pendant quatre ans pour mener à bien les expérimentations de mon mari. Nous devons aussi beaucoup à Monsieur le ministre Montalivet de l’avoir encouragé à nous donner des fonds…

– Ce brave Montalivet a toujours eu le nez fin pour trouver les nouveaux projets florissants de l’Empire… songea Joséphine. Mais dites-moi comment avez-vous vécu la remise de la Légion d’Honneur ? Comment cela est arrivé ? Dites-moi tout, je suis friande des moindres détails !

Madame Delessert rougit avec empressement et eut un léger rire nerveux. Sa timidité lui jouait vraiment des tours, surtout que l’Impératrice Joséphine était vraiment une belle et impressionnante femme.

« Et bien, le 2 janvier… Monsieur Chaptal, notre ami, a fait savoir à Monsieur Montalivet que nous étions enfin parvenus à fabriquer deux pains de sucre aussi blancs que les flocons d’hiver et d’une saveur semblable au sucre de canne. L’Empereur, tenu au courant, est immédiatement venu visiter nos ateliers, complimenter nos ouvriers et féliciter mon mari. Il a détaché sa propre croix de la Légion d’Honneur et l’a accrochée sur le veston de mon époux… »

Joséphine soupira et son regard soudain triste se perdit dans la pâleur pastelle des roses dont elle prenait grand soin.

« Il a toujours été ainsi, souffla-t-elle dans un murmure à peine audible. Toujours si éloquent et prompt à la grandeur des épopées… »

Madame Delessert, ne l’ayant guère entendu, continua son récit :

« Imaginez la joie de mon mari ! La Légion d’Honneur ! Que de fierté ! Et nous voici dès lors avec une baronnie offerte en remerciements de nos efforts scientifiques et économiques ! »

– Et quels sont vos projets désormais ? s’enquit Joséphine sortant brutalement de sa rêverie.

– Nous allons créer des écoles expérimentales de chimie sucrière dans de grandes villes, sans doute à Albi, Strasbourg ou encore Castelnaudary. Nous ne savons pas encore exactement où nous allons les implanter. Nous visons l’objectif de deux cents tonnes par an et par usine.

– Que de perspectives, rit l’Impératrice avant de frissonner sous une brise plus tenace et de se lever. Allons ma chère, que diriez-vous d’une bonne tasse de café avec votre fameux sucre issu de la betterave ?

Laureen Gressé-Denois

(Si l’histoire est ici inventée, les faits de l’Histoire eux ne le sont pas et le pari est ainsi tenu, de ne pas vous raconter de salades !)

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